Le Monde – « La rue, fief des mâles »
Un article très intéressant du Monde que plusieurs d’entre vous nous ont conseillé. Quelle femme n’a pas ressenti ce sentiment à St Denis ?! Pour ma part, je marche très souvent dans la ville et je vis cela quasiment au quotidien ….
Stéphanie
Sur le trottoir ou dans le métro, on croise des vieux, des jeunes, des hommes, des femmes. A première vue, l’espace public est mixte. A première vue seulement. Car l’espace urbain demeure un espace où les déséquilibres entre les deux sexes restent profonds. De jour, ça se voit peu. Et pourtant l’Insee a montré que les femmes se déplacent bien plus que les hommes, et elles le font à pied quand les hommes roulent en voiture.
Surtout, contrairement à ces derniers, « les femmes ne font que traverser l’espace urbain, elles ne stationnent pas », explique le géographe Yves Raibaud, coproducteur d’un rapport, en 2011, commandé par la communauté urbaine de Bordeaux. « On constate que les femmes traînent moins souvent dans la rue sans avoir quelque chose de précis à y faire et se déplacent rapidement d’un endroit à un autre », confirme Patricia Perennes, d’Osez le féminisme. Allez vite pour éviter les ennuis… Car une femme seule est trois fois plus abordée dans la rue qu’un homme. Parfois sympathiques, ces rencontres peuvent s’avérer désagréables et provoquer un sentiment d’insécurité.
Sifflées, collées, insultées, autant de situations que vivent les femmes dans la rue. On en a un bon exemple avec l’étudiante belge Sofie Peeters, qui a tourné, cet été à Bruxelles, un film en caméra cachée qui montre qu’elle est la cible de remarques machistes ou insultantes. (…)
Le métro, le soir, est fréquenté en moyenne par deux femmes pour huit hommes. Les parents ont autant peur du métro la nuit pour leurs filles (leur imposant le taxi) que les filles elles-mêmes, y compris majeures. Ces dernières mettent en place des stratégies pour réduire le danger : porter un pantalon, maquillage sobre, se déplacer en groupe, se rapprocher d’autres filles isolées, avoir un baladeur sur les oreilles en fuyant tout regard. (…)
Les décideurs de la ville ne font rien pour réduire ce fossé entre garçons et filles. Ils font même le contraire. Ainsi, 85 % du budget des équipements programmés dans les zones prioritaires vont aux garçons. Pour « canaliser la violence », dit-on. Les skate-parks poussent comme des champignons un peu partout, alors qu’il n’existe presque rien pour les adolescentes. Dans la revue Traits urbains, en mai, Yves Raibaud prend l’exemple de la construction de stades de football, investis presque uniquement par des hommes : « Imaginez un équipement public pour 43 000 femmes ! »
Les gestionnaires des politiques publiques, les urbanistes notamment, sont en grande majorité des hommes et agissent en fonction des idées qu’ils ont des femmes. Est-ce pour des raisons économiques, voire écologiques, ou parce qu’ils imaginent les femmes au foyer le soir, que 5 000 communes de France ont récemment décidé d’éteindre l’éclairage public entre minuit et 5 heures du matin ? Pourquoi nombre de lieux festifs et nocturnes sont-ils construits sans toilettes ? Parce que la nuit est un espace jugé masculin. D’un autre côté, les décideurs et urbanistes n’oublient pas les couloirs à poussettes, ni d’installer des crèches à côté des lieux de travail majoritairement féminins. « Les urbanistes vont répondre que, lors des réunions, on leur demande ces couloirs à poussettes ! », rétorque Louise Montout.
Tout le monde est d’accord : la ville est pensée par et pour l’homme, « elle appartient aux hommes « , affirme même Yves Raibaud. Les sociologues diront qu’elle est « androcentrée » – elle place au centre l’homme. Le dogme est si ancré que nous avons du mal à le remettre en question. Pire, nous l’entretenons tous. Car l’espace n’est pas interdit aux femmes, ce sont elles qui s’interdisent l’accès à une rue, un bar, un lieu de fête… Les interdits sont tels, montre l’étude de Bordeaux, que les lieux qu’elles trouvent répulsifs sont les plus nombreux.
En fait, les femmes érigeraient ce que le géographe Guy Di Méo appelle des « murs invisibles » dans l’espace urbain. Ces barrières sont inconscientes. Elles varient d’une personne à l’autre et d’un jour à l’autre en fonction des émotions. Elles sont le fruit de facteurs comme l’âge, le niveau socio-économique, la situation personnelle ou l’environnement culturel. Et pourtant la peur touche l’adolescente comme la maman et sa poussette. « Il suffit d’un viol médiatisé pour que toutes les femmes aient peur », dit Marylène Lieber. Cette peur se transforme au fil des ans avec l’idée d’être une proie dont le sac à main est visé. C’est cette vulnérabilité qui pousse les personnes âgées à cacher leur argent sous leur pull pour sortir. (..)
La mairie de Paris mène des actions pour rendre plus visibles les femmes dans l’espace urbain. Des marches exploratoires ont lieu la nuit (des femmes se promènent en ville pour réfléchir à ce qui exacerbe leur sentiment d’insécurité) et neuf stations de tram porteront des noms de femmes. « Quand nous sommes arrivées à la mairie, seuls 3 % ou 4 % des équipements parisiens et des rues étaient dédiés aux femmes célèbres ; on est a plus de 13 % maintenant « , se réjouit Fatima Lalem, adjointe au maire chargée de l’égalité hommes-femmes.
Sinon, les avancées sont presque inexistantes. L’Egypte a mis en place au Caire des rames de métro réservées aux femmes. Mais ça ne résout pas le problème de fond. Des spécialistes préfèrent des mesures non spécifiques aux femmes, mais dont elles seraient bénéficiaires : éclairer une ville la nuit, avoir des rues plus propres, décongestionner les transports… (…)
Fanny Arlandis – Article du 6 octobre 2012
Quand tu veux 🙂 !
Cet article tente de nous faire croire que le sort des femmes dans l’espace urbain est le même partout.
Pourtant il y a un amalgame entre le nécessaire progrès d’une ville pensée en termes masculins dans une société les femmes ont désormais toute leur place (Paris, les centre-villes à forte valeur culturelle ajoutée, où les femmes, en tout cas en France, ont toujours été fort présentes (etudiantes, employées, cadres sup, etc), et d’autre part la ville où elle sont : « Sifflées, collées, insultées, autant de situations que vivent les femmes dans la rue. » Sofi Peeters ne s’est pas promenée n’importe où à Bruxelles, et même si tous les hommes sont susceptibles de machisme imbécile et de drague lourdingue (enfin pas trop moi, mais on n’est pas là pour ça 😉 ), il me semble que c’est très corrélé au niveau d’éducation et à la place de la femme dans les représentations collectives (En France, depuis les intellectuelles, courtisanes, et les salons, la parole féminine a toujours été visible).
C’est marrant comme on masque le risque de retour en arrière de la situation faite aux filles dans les milieux populaires par un discours sur l’architecture, la culture et l’espace urbain parisien…Il est vrai qu’il ne faut blesser personne ni stigmatiser… Alors, éduquons !
thierryb souligne avec raison que tous les espaces urbains ne sont pas identiques face au sexisme. Un reportage de la télévision belge RTBF présente le film de Sofi Peeters dans son contexte : http://youtu.be/TazhIzP5cx8
Il faut savoir que la mairie de Bruxelles a décidé au 1er septembre l’application d’une loi prévoyant des amendes administratives pour sanctionner ces comportements. Des critiques ont mis en avant le rôle de l’éducation pour s’opposer à ce dispositif répressif. La réponse de la municipalité de Bruxelles est intéressante : elle considère que la lutte contre les insultes racistes, homophobes et sexistes passe aussi par la répression.
Et face à ceux qui pensent que ces amendes sont inefficaces, elle rappelle le bilan positif des amendes en matière de propreté publique : « Les sanctions administratives fonctionnent donc bien et changent la mentalité des citoyens, puisqu’ils se rendent compte qu’ils peuvent être poursuivis », a précisé Freddy Thielemans, bourgmestre de Bruxelles, dans le journal « Le Soir ». A Saint-Denis, nous avons beaucoup à apprendre de nos amis bruxellois…
Yes Sam avec grand plaisir !!!!
C’est tout le quartier de la gare qui est excessivement masculin….
C’est vrai mais la rue Paul Eluard est beaucoup plus large et surtout il y a moins de cafés, épiceries diverses, etc …. Cela doit jouer aussi très certainement. Mais, je suis tout à fait d’accord, je ne ressens pas cela partout à St Denis, c’est certain.
En tout cas, la solution en Égypte de transports réservés aux femmes ne m’apparait terrible …
A Saint Denis, il y a un au moins un domaine où la ville est pensée pour les filles (pas difficiles) plus que pour les garçons : l’offre commerciale des boutiques de vêtements pour femmes, très largement supérieure en quantité (faudra repasser pour la qualité) …. LOL.
En conclusion, je crois qu’il faut sortir et s’aventurer partout, tout le temps, et pas seulement le 8 mars.