Sécurité : la colère du préfet de Seine-Saint-Denis

Cet article du Monde paru il y a 10 ans est terrible pour l’action publique.
En 2006, le préfet de l’époque écrit ce courrier où il décrit point par point tous les problèmes et alerte sur les mesures urgents à prendre pour éviter la catastrophe. Comme on a pu le constater rien n’a été fait et 10 ans plus tard, on ne sait plus par quel bout attaquer les problèmes de délinquances et ne parlons pas de la bonne santé des extremistes…
Le Monde.fr version mobile – Dans une note adressée au ministère de l’intérieur, Jean-François Cordet décrit une situation explosive en Seine-Saint-Denis : délits en augmentation, policiers démotivés, islamistes mobilisés.
Source : Sécurité : la colère du préfet de Seine-Saint-Denis
Quatre pages de colère froide et argumentée : ainsi se résume la missive adressée juste avant l’été par le préfet de Seine-Saint-Denis à Claude Guéant, directeur du cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère de l’intérieur. Dans son courrier daté du 13 juin, Jean-François Cordet s’alarme – pour la quatrième fois, par écrit, depuis le début de l’année – de la montée de la délinquance dans son département.
Il dresse aussi un bilan très sévère de l’action du tribunal de Bobigny et s’inquiète des problèmes d’encadrement et de motivation chez les policiers, dans un des départements les plus criminogènes de France, qui, écrit-il, compte « sans doute plus de 1,5 million d’habitants (compte tenu des clandestins) ». En Seine-Saint-Denis, où deux tiers de la population est étrangère ou d’origine étrangère, « les écarts se creusent, les envies s’exacerbent », assène M. Cordet.
Depuis le début de 2006, la Seine-Saint-Denis a enregistré « une recrudescence de la délinquance peu connue jusqu’ici depuis de nombreuses années », soit + 7,64 %, note le préfet. Au cours du premier semestre, les violences contre les personnes ont progressé de 14,11 % par rapport à 2005. Les vols avec violences ont notamment augmenté de 22,62 %, les vols avec armes blanches de 16,19 %. La part des mineurs dans la délinquance de voie publique est passée de 44,23 à 47,67 %.
Face à cette tendance inquiétante, M. Cordet – qui occupe ses fonctions depuis décembre 2004 – regrette les défaillances de la chaîne pénale. Le tribunal de Bobigny est une nouvelle fois critiqué. La réponse judiciaire n’est, « plus que jamais, pas à la hauteur des problèmes » de la Seine-Saint-Denis, estime-t-il. Selon lui, l’augmentation très forte des vols avec violences « est due, à 70 %, à des mineurs, chez lesquels le sentiment d’impunité prévaut ». Le préfet précise qu’en 2005, « sur 1651 mineurs déférés au parquet, seuls 132 ont été écroués, ce qui donne une idée de la marge de progression que le parquet possède actuellement, nonobstant le dogmatisme dont peut faire preuve le juge des enfants dans ce département ».
Le 19 juin, soit quelques jours après l’envoi de cette note par le préfet, M. Sarkozy a adressé un courrier à Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny, pour dénoncer son laxisme à la suite des violences urbaines de novembre 2005. Un seul mineur avait été écroué sur 85 déférés, selon la préfecture à Bobigny. « Je ne crois pas que cette réponse judiciaire soit à la mesure des enjeux », écrivait le ministre.
Le deuxième motif d’amertume exposé par M. Cordet concerne la réduction des effectifs. Soulignant une « diminution très perceptible », depuis 2002, du nombre de fonctionnaires affectés en sécurité publique, le préfet la met en parallèle avec l’augmentation de la population (environ 5 000 personnes par an) et de la criminalité. A cela s’ajoutent, selon lui, les diverses « sujétions » mobilisant une partie des effectifs, sans équivalent dans aucun autre département français : les vacations au tribunal et au centre de rétention administratif de Bobigny et les 25 à 30 soirées par an au Stade de France. M. Cordet rappelle que la Seine-Saint-Denis est « le premier département de France en termes de sécurisation de visites ministérielles, le nombre avoisinant 150 par an, ce qui là aussi obère d’autant la capacité d’intervention sur la voie publique ».
Le préfet se dit aussi préoccupé par « l’extrême jeunesse des commissaires » nommés dans son département. Depuis 2004, sur 21 circonscriptions, « à peine deux responsables sont toujours en poste, note-t-il. Ce département a besoin de stabilité dans la présence et la connaissance des commissaires. Une durée moyenne de trois ans ne me semblerait pas exagérée même si la tâche y est pénible ». La fidélisation des effectifs reste un problème majeur dans tous les départements de la petite couronne, malgré les incitations financières et l’accès facilité aux logements.
Jean-François Cordet met également en cause les modes d’intervention des compagnies républicaines de sécurité (CRS), tout en se félicitant de leur soutien dans la lutte contre la délinquance. « Axés sur les contrôles d’identité essentiellement », ils ne permettraient pas, selon lui, une bonne prévention des violences urbaines. En outre, le préfet note « la difficulté de fonctionnement conjoint sécurité publique et CRS, chacun tentant de reporter sur l’autre l’inefficacité des mesures de sécurité ».
C’est à l’automne 2005 que Nicolas Sarkozy a décidé d’affecter 17 compagnies de CRS et 7 escadrons de gendarmerie aux quartiers les plus difficiles, en renfort de la sécurité publique (Le Monde du 25 octobre 2005). M. Cordet formule une suggestion concernant le dispositif des forces de l’ordre : la création d’une brigade anticriminalité (BAC) centrale, qui pourrait être sollicitée dans chaque département d’Ile-de-France en cas de nécessité.
Le préfet relaie aussi dans son courrier l' »émoi » que suscitent, dans les commissariats de son département, les interventions de la « police des polices ». Exemple le plus marquant : entre 2000 et 2005, huit procédures judiciaires visant le seul commissariat de Saint-Denis – pour des viols avérés ou des faits de violences – ont été déclenchées, aboutissant à la mise en examen de 24 fonctionnaires. Selon les responsables policiers, dont M. Cordet se fait le porte-parole, les investigations « plus rudes et disproportionnées » de l’IGS, par rapport à d’autres départements, provoquerait une « frilosité » des forces de l’ordre dans leurs interventions.
Mais Jean-François Cordet ne se contente pas d’aborder la seule thématique de la sécurité. Il souligne aussi la paupérisation d’une partie de la population et l’aggravation des inégalités. Notant que « la Seine-Saint-Denis représente 35 % de la pauvreté d’Ile-de-France », il se félicite du développement économique constaté au sud de Saint-Denis ou d’Aubervilliers, à la porte de Paris, lieux d’implantation de grandes entreprises. Ce développement et « la reconquête dans ces mêmes lieux de l’habitat par les classes moyennes conduisent aujourd’hui à une confrontation permanente entre l’aisance des uns et la pauvreté des autres, s’inquiète-t-il. L’uniformité sociale et économique de la Seine-Saint-Denis, telle qu’elle existait depuis l’après-guerre, est en train d’exploser ».
Le préfet évoque en particulier le sort des jeunes, principales victimes du chômage. « Ces classes d’âge sont aujourd’hui fortement travaillées par l’islam, et sans doute le plus intégriste », écrit-il, en donnant l’exemple des femmes intégralement voilées, de plus en plus nombreuses dans les lieux publics. L’influence des intégristes est visible « à chaque réveil de l’agitation dans telle ou telle cité », affirme M. Cordet : « Le relais de la gestion locale est pris par les ‘barbus’ que l’on voit en compagnie des ‘animateurs’ ou ‘médiateurs’ divers, dans des déplacements destinés (disent-ils) à calmer le jeu (parfois avec la complicité tacite de certains élus). »
J’ai souhaité partager cet article avec vous bien qu’il soit déprimant.
L’appel au secours lancé il y a maintenant 10 ans a été méprisé par tous les responsables politiques depuis.
Encore maintenant, on met quelques bouts de ficelles, nous n’avons toujours pas les policiers nécessaires et ne parlons pas de l’essor des barbus dans notre ville sur cette même période et le mal qu’ils ont fait au vivre-ensemble.
Les juristes, il n’y a pas matière à attaquer pour négligence et manque de résultats ?