slate.fr – « La gentrification en Seine-Saint-Denis: mythe ou réalité? »
la gentrification en neuf trois serait un épiphénomène…
Sam
slate.fr – « La gentrification en Seine-Saint-Denis: mythe ou réalité? »
(…)
La gentrification revient sur toutes les lèvres des décideurs politiques comme étant le processus majeur semblant à l’heure actuelle faire évoluer les territoires de Seine-Saint-Denis les plus proches de Paris.
L’arrivée de nouvelles populations extérieures au territoire, originaires principalement de Paris intra-muros, plus diplômées et plus aisées que les populations locales, entraînerait une modification de ses caractéristiques sociodémographiques. Ce discours semble corroboré par le travail de certains chercheurs en sciences sociales, qui ont montré l’existence d’un processus de modification du peuplement dans certains quartiers de la commune de Montreuil, conduisant à faire de cette commune la «ville bobo» par excellence dans l’imaginaire collectif francilien.
L’élection d’une élue écologiste, Dominique Voynet, à la mairie en 2008 a consécutivement été considérée par de nombreux observateurs comme un symbole politique fort. Parmi les différents travaux concernant la thématique de la gentrification, nous pouvons citer ceux de la sociologue Anaïs Collet qui, dans le cadre de sa thèse, s’est intéressée au cas du Bas-Montreuil, où l’ancien tissu bâti de type faubourg, constitué d’un assemblage hétéroclite de petits pavillons ouvriers, d’immeubles de faible taille et d’usines désaffectées a été conquis par des parisiens issus de la «classe créative», avec, entre autres, le phénomène désormais bien connu des lofts.
La motivation première des nouveaux arrivants était le coût du logement et la taille importante des surfaces, auquel se combinait un côté «village». A l’arrivée, le quartier s’est progressivement gentrifié, avec un coût du logement atteignant des valeurs très élevées et l’apparition dans le paysage de boutiques témoignant du changement de population (par exemple, les magasins d’alimentation biologique). Selon cette sociologue et d’autres chercheurs, le processus d’embourgeoisement toucherait désormais l’ensemble de la commune de Montreuil ainsi que plusieurs communes proches: Romainville, Bagnolet, Les Lilas, Pantin ou encore Noisy-le-Sec, en faisant une vague de fond de l’évolution de la sociologie de la métropole parisienne.
Néanmoins, un problème majeur émerge dans l’ensemble de ces travaux et/ou affirmations: ils ne reposent pas sur l’analyse fine des statistiques socio-démographiques et donc ne permettent pas de quantifier le phénomène, élément pourtant indispensable pour prendre mesure de son ampleur.
Le 93 en phase de «boboïsation»? Un mythe au regard de la démographie
Qu’en est-il donc réellement? Les statistiques confirment-elles l’existence de ce processus ou les évolutions en œuvre créent-elles une situation plus complexe? La gentrification ne relève-t-elle pas plus d’un mythe entretenu par certains experts et médias que de la réalité? La réalisation par nos soins d’un diagnostic territorial concernant la période la plus récente, c’est-à-dire 1999-2009, sur le territoire de la communauté d’agglomération Est Ensemble, qui comprend la commune emblématique de Montreuil, et qui est une des structures intercommunales séquano-dionysiennes limitrophes de Paris, vient mettre un gros bémol à cette vision, qui ne reflète pas la réalité de l’évolution de ces communes.
En effet, l’étude démographique a montré l’influence majeure de l’immigration internationale d’origine extra-européenne sur le territoire de la communauté d’agglomération Est Ensemble, à l’origine de ses caractéristiques spécifiques, dont la forte natalité et l’augmentation de la taille des ménages. Selon ces indicateurs, le processus de gentrification, identifié par les acteurs locaux comme dominant, est invisible. L’étude du parc de logements est venue confirmer le constat d’une certaine paupérisation consécutive à cette immigration (moindre progression de la taille des résidences principales, persistance de logements insalubres, réduction de l’équipement en automobile), tout en faisant émerger (timidement) l’amorce d’un processus de gentrification (progression des propriétaires).
Enfin, l’étude économique tout en confirmant l’impact certain de l’immigration (comme par exemple à travers l’augmentation des sans diplômes ou la surreprésentation des ouvriers dans la population active alors que les emplois locaux sont de plus en plus des emplois occupés par des cadres non résidants), démontre néanmoins l’existence d’un phénomène de gentrification sur une partie du territoire (forte hausse des cadres et des populations diplômées), en particulier aux Lilas et dans le Bas-Montreuil.
Ce dernier phénomène demeure cependant limité géographiquement et encore plus quantitativement, la dynamique démographique des populations «bobo» étant très inférieure à celle des populations d’origine extra-européenne, d’où les pourcentages très élevés d’enfants d’origine étrangère, 50% à Montreuil et plus de 60% à Pantin en 2005 par exemple selon les calculs des démographes Bernard Aubry et Michèle Tribalat.
Autrement dit, il ne suffit pas d’un apport de population sociologiquement élevée pour créer une modification sensible, si dans le même temps les évolutions des populations les plus défavorisées sont plus dynamiques. Par ailleurs, la présence dans un logement ne signifie pas que les populations gentrifiées jouent pleinement un rôle de «rééquilibrage» social, notamment dans les écoles, car on observe de nets phénomènes de fuite à partir du primaire et encore plus du secondaire.
Immigration forte et gentrification depuis Paris
Finalement, modulant le ressenti des acteurs locaux, la gentrification n’apparaît pas comme le phénomène majeur d’évolution du territoire de la communauté d’agglomération Est Ensemble entre 1999 et 2009. En fait, ce diagnostic territorial conduit à déterminer l’existence de trois phénomènes à l’œuvre expliquant les évolutions parfois paradoxales de ce territoire :
1. Le premier est l’immigration extra-européenne très forte, provenant du tiers-monde, avec en particulier l’arrivée récente de migrants d’Afrique noire, souvent synonyme de paupérisation. Elle constitue le phénomène majeur, étant liée à la fonction de «sas» avec le reste du monde de la Seine-Saint-Denis. Elle concerne toutes les communes, mais plus fortement le versant nord de la communauté d’agglomération, Bobigny, Noisy-le-Sec et Bondy en particulier, mais aussi assez largement Pantin, pourtant proche de Paris et souvent citée comme commune en cours de gentrification.
Trois processus à l’œuvre sur le territoire de la CA Est Ensemble, qui conduisent à une dualisation du peuplement: l’immigration internationale, la gentrification et le départ des classes moyennes «basses».
2. Le second processus est la fameuse gentrification depuis Paris, consécutive à l’arrivée de cadres et professions intellectuelles supérieures. Elle apparaît comme un phénomène statistiquement secondaire, beaucoup moins important que se le représentent les acteurs locaux, concernant surtout les communes/quartiers limitrophes de Paris sous conditions d’un accès en transport lourd (métro) et d’un tissu urbain de type faubourg (les quartiers d’habitat social de type «grand ensemble» sont rédhibitoires au phénomène de gentrification). Cette contradiction avec les perceptions locales (ou même ce qu’on pourrait nommer parfois les craintes d’évolution de la sociologie locale) s’expliquent assez facilement pour trois raisons :
Dans une situation de faible présence de ces ménages de catégories élevées, toute nouvelle arrivée est forcément plus visible, en contraste avec la sociologie locale.
Cela est d’autant plus vrai que des stratégies de valorisation immobilière se manifestent souvent sous la forme d’une visibilité dans l’espace public: un loft à la façade repeinte en rouge change symboliquement et marque l’aspect d’une rue, alors même que ses habitants ne représentent qu’une infime portion de la population du territoire.
Les attentes et les revendications de ces populations à CSP+, pour qui les enjeux de reproduction sociale et de qualité de scolarisation des enfants sont majeurs, sont autrement plus importantes que celles des populations moins éduquées, et se manifestent bien au-delà de leur représentativité numérique.
Une ville duale
3. Enfin le troisième phénomène, non directement visible statistiquement, mais qui est la conséquence logique des deux précédents: le départ massif des classes moyennes basses. En effet, les populations d’origine européenne ouvrières et employées qui habitaient anciennement ce territoire ont émigré en grandes proportions vers d’autres territoires de la région, en particulier vers la Seine-et-Marne en territoire périurbain à la recherche d’un habitat individuel, mais aussi en province (fuite de la mixité sociale).
Comme l’a montré le géographe Christophe Guilluy dans son livre Fractures françaises, il s’est produit une dissociation géographique entre les classes populaires d’origine européenne rejetées dans une France périphérique et celles d’origine non-européenne concentrées dans les grands ensembles des grandes métropoles.
En conséquence, le territoire d’Est Ensemble se caractérise de plus en plus par une société duale, typique des grandes métropoles mondiales des pays développés, dont Paris fait incontestablement partie, ce qu’avaient montré dès les années 1990, les travaux de la sociologue Saskia Sassen. Ces agglomérations se caractérisent par l’opposition entre des cadres «autochtones» riches et des immigrés pauvres vivant sur des territoires proches, les classes moyennes ayant tendance à disparaître par phénomène d’éviction.
Léna Bouzemberg et Laurent Chalard – publié le 27 sept. 2013
Article très intéressant qui oublie de préciser qu’une fraction importante de ces CSP+ , souvent maginalisées, ne s’implantent pas durablement sur ces territoires et en repartent au moment de la scolarisation des enfants…Contrairement à Montreuil, les bobos de Saint-Denis sont très dilués et plutôt volatiles…
Ce qui montre l’extrême effort qu’ a du fournir depuis le début des années 2000 ce territoire, en matière d’accueil de populations pauvres, non diplômées et étrangères, et l’enjeu pour la société toute entière de la réussite ou de l’échec du « sas d’entrée » qu’est la Seine Saint Denis. L’enquête porte sur l’est 93 plus que sur les communes du nord 93, Saint Denis, Pierrefitte, la Courneuve, où la concentration de difficultés est devenue peut -être insurmontable en l’état des moyens et des actions en cours.
Une pensée pour tous ceux qui travaillent à l’interface de ce sas et de la société ( professions médicales, sociales, enseignantes, etc. ) qui prennent de plein fouet l’écart entre les attentes de l’institution et les comportements déphasés de ceux qui arrivent dans notre société et qui sont rassemblés en un seul point névralgique.
Et Braouezec dans tout çà ?
@georges : la réponse à votre question est dans ce passage de l’article : « troisième phénomène : le départ massif des classes moyennes basses. En effet, les populations d’origine européenne ouvrières et employées qui habitaient anciennement ce territoire ont émigré en grandes proportions vers d’autres territoires de la région, en territoire périurbain à la recherche d’un habitat individuel, mais aussi en province ».
La politique de Braouezec a constamment été le rejet des classes moyennes et de ce que j’appellerais les classes populaires intégrées (dites dans l’article « classes moyennes basses »…) car ils devenaient électoralement dangereux (effondrement du vote communiste dans ces catégories) et surtout totalement en décalage avec l’idéologie « révolutionnaire » dont Braouezec se voulait le chef de file. Des populations immigrantes socialement fragilisées, des « sans », correspondaient mieux à son projet de mobilisation sociale et d’invention d’une démocratie directe locale. Ce fût un échec total, et la ville paye plus en plus lourd le prix de ce refus de la mixité sociale au profit d’une paupérisation voulue de la population.
Je ne sais pas trop…
En lisant cet article, j’ai bien sûr pensé aux mots de Braouezec et son « projet de société ». Ceci dit, ce phénomène n’est visiblement pas propre ni à Saint-Denis ni au 9-3. Alors je me suis dit : « lorsqu’on ne maîtrise pas la situation, feignons d’en être les instigateurs ».
Je pense que le navire navigue à vue et au grès de forces qui dépasse l’entendement des politiques. Et lorsqu’il arrive quelque part, ils disent : « c’est exactement là que nous voulions aller ».
Après 9 ans de vie à St Denis j’ai pu constater :
– Que sur les bobos ou plus exactement les familles « avec » qui viennent s’installer à St Denis, plus ils sont proches de la gare et plus il y a de chances pour qu’ils quittent la ville au bout de 2 ans, dégoûtés, agressés…
– Le départ des classes moyennes dyonisiennes est évident parmi ceux qui vivent depuis longtemps voir sont nés à St Denis. La dégradation trop importante de la ville, la perte de la solidarité, de la sécurité, l’inquiétude pour leurs enfants les incitent à partir et en général vers la banlieue plus lointaine mais plus verte et tranquille.
– Que les « sans » semblent de plus en plus importants.
Cet article sur Slate, même si nous sommes loin de l’afflux bobo de Montreuil, me semble assez proche de la réalité dyonisienne. D’autant plus que St Denis ne fait rien pour intégrer les classes moyennes venant s’installer, voir les stigmatise assez souvent comme les méchants, alors quel est l’avenir de cette ville ?
@BB : c’est vrai que le phénomène n’est pas propre à Saint-Denis, d’autant plus que cette étude porte sur l’Est du département. Les comportements politiques sont cependant assez proches : le départ des catégories populaires les plus intégrés socialement n’a pas été combattu en offrant, par exemple, des possibilités plus larges d’accession à la propriété et/ou en réservant du foncier pour de l’habitat pavillonnaire. Le reflux électoral du PC dans cet électorat ne poussait pas à innover pour tenter de le retenir. Etait-ce possible ? Je ne sais pas trop, moi aussi…
Braouezec, lui, est allé plus loin et en a fait une doctrine politique hostile à ces catégories sociales, qui aspiraient à un mode de vie meilleur, et hostile encore plus aux couches moyennes. Il a dit et répété qu’il n’avait rien à faire de ces gens qui rentrait du travail le soir et y repartait le matin, sans s’impliquer dans la « démocratie » locale. Ils étaient un handicap dans l’expérimentation sociale et politique dont Saint-Denis devait être le laboratoire… D’où la volonté de faire que le territoire attire les catégories sociales les plus en difficulté car, selon lui, les plus susceptibles de participer à la « démocratie participative » et de construire un mouvement social anti-capitaliste, dont il se voyait bien le chef. Tragique erreur !
Bonjour à tous.
@Suger:
Je pense que M. BRAOUEZEC devrait se présenter comme maire pour qu’il présente lui même ses « expérimentations ».
En tant que Président de Plaine commune, il expérimente ce qu’il veut car il n’est pas élu au suffrage universel direct.
Je ne suis pas un rat de laboratoire.
Je vous conseil l’article sur média part:
http://blogs.mediapart.fr/edition/e…
Ce deni de réalité est incroyable. Il parle de ville apaisée, solidaire et attractive…
Vit-on dans la même ville??
Il oublie de parler de traffic de drogues, de la crasse, de la pauvreté qui s’instensifie, de violences quotidienne, de transport en commun bondés, de saturation du traffic, …
Pour résumer tous cela, je le cite: » tout n’est pas parfait ».
La ville est tout sauf apaisée.
Il y a une réunion de quartier à l’école Jules Vales mardi 8 octobre à 18h30.
Je quitterais plus tôt pour aller voir notre cher maire.
On devrait y aller en nombre pour lui demander quelle est la relation à M. BRAOUEZEC et sa « vision » pour Saint Denis.